Dans sa feuille de route imprimée sous le sceau idéologique du « pragmatisme politique » pour asseoir les termes du « patriotisme ouvert » mais aussi « souverainiste », le parti Pastef a inscrit la question relative à la sortie du franc Cfa, parmi les points saillants de son « Projet ». En janvier 2023 déjà, Ousmane Sonko, farouche opposant au régime d’alors, avait annoncé les couleurs en ces termes : « Nous devons de manière autonome nous approprier notre monnaie, avoir nos propres institutions, la garantir par nous-mêmes ».
Ça paraît alors logique si le président Bassirou Diomaye Faye a affirmé, lors de la campagne électorale, sa préférence pour une réforme monétaire qui permettrait au Sénégal d’intégrer une monnaie unique pour l’ensemble des pays de la Cedeao ou de battre sa propre monnaie si les conditions ne sont pas réunies.
Mieux, le chef de l’Etat, qui partage avec son actuel Premier ministre les mêmes aspirations et visions souverainistes, prône une rupture totale avec le système actuel. « Il n’y a pas de véritable souveraineté s’il n’y a pas de souveraineté monétaire », disait-il lors d’une conférence de presse au lendemain de leur sortie de prison.
« Le franc CFA tel qu’il est conçu entrave le développement économique de la région et il est nécessaire d’envisager d’autres options. Nous essaierons d’abord de mettre en œuvre une réforme monétaire au niveau sous-régional. Si nous n’arrivons pas à impulser les réformes au niveau communautaire, alors nous prendrons la responsabilité de doter le Sénégal de sa propre monnaie », a ainsi appuyé M. Sonko, le même jour.
La position de Pastef semblait donc claire sur cette « monnaie coloniale », même si quelques précisions ont été émises, quelques jours plus tard, après que cette sortie a suscité une vive polémique au Sénégal. Dans un entretien avec le journal « Le Monde », en pleine campagne, Faye clarifie que pour sortir du franc CFA, « l’idéal serait de le faire dans le cadre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avec l’Eco », le projet de monnaie unique ouest-africaine qui tarde à aboutir. « Nous pourrions avoir soit une monnaie nationale arrimée à une monnaie communautaire, soit une monnaie commune », explique-t-il. Et si le projet n’aboutit pas, « nous devrons envisager de prendre seuls notre souveraineté ».
Dès son installation, le nouveau chef d’État a réaffirmé son engagement de marquer la fin de « l’ère post-coloniale », souhaitant retrouver une souveraineté nationale, qu’il considère comme affaiblie par des ingérences étrangères.
C’est pourquoi à l’annonce de la visite d’amitié du chef de l’Etat à Abidjan, des langues commençaient à délier. Certains souverainistes espéraient voir un petit coin du voile levé autour de cette question avec le président ivoirien, qui incarne un pan important de l’histoire actuelle de l’intégration dans l’espace ouest-africain.
Mais le sujet, complexe sur le plan technique, selon des économistes, n’a finalement pas été évoqué avec Alassane Ouattara, selon le communiqué conjoint. Le président Faye a seulement évoqué « des réformes nécessaires » à entreprendre au sein « des espaces régionaux que nous partageons », comprenant l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
L’autre fait qui pourrait justifier que les nouvelles autorités ont décidé finalement d’y aller avec prudence, c’est la nomination d’Ahmadou Al Aminou Lô, au secrétariat du gouvernement. Cet ancien haut cadre de la Bceao est connu pour ses positions tranchées sur le Franc Cfa, monnaie qu’il a toujours défendue. « Le franc Cfa est une monnaie stable qui répond à toutes les fonctions de la monnaie, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de monnaies vers lesquelles on nous pousse (…) Une monnaie avec un équilibre externe solide contrairement à ce que les gens disent. Le franc Cfa n’est pas surévalué. La parité fixe est un danger quand vous êtes surévalués », avait-il déclaré, dans l’émission Jury du Dimanche sur la Rfm.
« Ceux qui disent que c’est un billet colonial, les nouveaux billets de 10 000 F Cfa contiennent deux signatures comme tous les billets : la signature du gouverneur de la Bceao et la signature du président des conseils des ministres. Le président du Conseil des ministres de l’union est actuellement le ministre de l’Économie et des Finances du Sénégal, Monsieur Amadou Bâ. C’est le ministre Amadou Bâ qui a signé ces billets », avait-il encore dit.
Cette logique de prudence est encore beaucoup plus visible si l’on sait que, de l’autre côté, le département de l’économie sénégalaise à un fervent partisan d’une réforme du franc CFA à l’occurrence, le Dr Abdourahmane Sarr.
« La critique du franc CFA est aussi ancienne que le franc CFA. La chose la plus naturelle pour un pays indépendant et pour un ensemble de pays indépendants, c’est bien qu’ils aient tous les éléments de leur souveraineté, y compris la monnaie », écrivait Martial Ze Belinga, économiste et sociologue, auteur de « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire – A qui profite le franc CFA?? »
« Il est plus facile de parler de rupture que d’en être l’artisan. Il faudra examiner, secteur par secteur, ce qui changera effectivement », considère, pour sa part, Moubarack Lô, patron du Bureau de prospective économique du Sénégal.
Alors le tandem Diomaye-Sonko est-il toujours dans la logique de se débarrasser de cette devise ?
Rappelons, en tout cas, que pour l’option communautaire, un premier pas avait été franchi en 2019 avec la disparition annoncée du franc CFA dans les pays d’Afrique de l’Ouest.
« Je suis heureux d’annoncer qu’en accord avec les autres chefs d’Etat de l’Uemoa, nous avons décidé de faire une réforme du franc CFA », déclarait le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara. « L’Eco, cette monnaie verra le jour en 2020 », précisait Emmanuel Macron, son homologue français. Mais cinq ans plus tard, l’implantation de cette monnaie est au point mort. La cause ? Ces derniers accusent principalement la crise de la Covid-19 ! source aps